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Lettre à l'éditeur de Béatrice Martin parue dans le Wort le 5 mai 2024

La Commission gaspille de l’argent public et les eurodéputés valident 

Le contexte des contrats de vaccins n’est toujours pas clair. Les députés européens luxembourgeois font obstacle à la clarification, estime notre autrice invitée Béatrice Martin.

Pasted Graphic

« La transparence est à la base de la confiance de nos citoyens, (…) il est essentiel de démontrer notre capacité à tenir nos promesses et à maintenir un haut niveau de responsabilité ». C’est ce que déclarait fin janvier Marc Angel, eurodéputé luxembourgeois et vice-président du Parlement européen.
La Commission gaspille de l’argent public et les eurodéputés valident 

Le contexte des contrats de vaccins n’est toujours pas clair. Les députés européens luxembourgeois font obstacle à la clarification, estime notre autrice invitée Béatrice Martin.

Pasted Graphic

« La transparence est à la base de la confiance de nos citoyens, (…) il est essentiel de démontrer notre capacité à tenir nos promesses et à maintenir un haut niveau de responsabilité ». C’est ce que déclarait fin janvier Marc Angel, eurodéputé luxembourgeois et vice-président du Parlement européen.

Monsieur Angel faisait cette déclaration à l’occasion de la présentation du rapport 2022 de la médiatrice européenne. Celle-ci constatait, entre autres, une « mauvaise administration dans la manière dont la Commission a traité une demande d’accès du public aux SMS échangés entre sa présidente et le PDG d’une société pharmaceutique (Pfizer) [1] ».

Rappelons que ces SMS concernent le 3ᵉ contrat d’achat de vaccins anti-covid dont Madame von der Leyen aurait directement fait l’emplette chez Pfizer. La présidente de la Commission se serait en effet mêlée de négocier elle-même un contrat qui coûte plus de 19 milliards d’euros aux contribuables européen [2]. Ce marché, conclu en dehors de toute procédure règlementaire, contraint les États membres à acheter des vaccins jusqu’en 2027.

Des milliards de dollars de bénéfice aux firmes pharmaceutiques
Le sujet est d’autant plus sensible qu’il apparaît clairement que ces contrats sont déséquilibrés en faveur du privé. Loin de garantir les meilleures conditions d’achat aux États membres, nous savons maintenant que ces transactions sur le vaccin rapportent des milliards de dollars de bénéfice aux firmes pharmaceutiques productrices.

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Le Luxembourg a déjà gaspillé 23 millions d’euros en vaccins qui ont été détruits ou donnés. Foto: Daniel Karmann/dpa

Le Luxembourg a déjà gaspillé 23 millions d’euros en vaccins qui ont été détruits ou donnés [3]. À terme, nous pouvons estimer que notre pays aura dilapidé plus de 32 millions d’euros en achat de vaccins qui ne serviront à personne. Sauf aux firmes qui les produisent et qui les vendent !

Dans ces conditions, il semble légitime de demander des comptes à la Commission européenne. Des citoyens [4], des journalistes [5] et des députés européens réclament depuis des mois à la Commission qu’elle divulgue le contenu des contrats, le nom des négociateurs et les modalités de conclusion. La Commission refuse ou tergiverse, sa présidente ne daigne même pas se présenter devant la commission parlementaire ad hoc.

En refusant de voter cet amendement, nos eurodéputés abandonnent leur rôle de contrôle de la Commission. 
Compte tenu de la désinvolture de Madame von der Leyen et des enjeux financiers, quelques eurodéputés ont voulu insister. Ils ont déposé un amendement demandant à la médiatrice qu’elle continue à « exhorter la Commission européenne à publier immédiatement les contrats liés à l’achat des vaccins ». Dans la foulée, sa présidente aurait été encouragée à retrouver rapidement ces SMS qui indignent jusqu’à New York [6].

Cet amendement a été voté par 254 députés européens, dont une seule Luxembourgeoise. En effet, à l’exception notable de Tilly Metz, tous les eurodéputés luxembourgeois [7], dont le chantre de la transparence, Marc Angel, se sont opposés à cette exigence de clarté.

Un seul vote luxembourgeois en faveur

Mentionnons ici que le rapport de la médiatrice souligne encore « que les règles de l’Union en matière de marchés publics ne sont pas suffisamment solides et claires pour empêcher les conflits d’intérêts ». En refusant de voter cet amendement, nos eurodéputés abandonnent leur rôle de contrôle de la Commission. Ce faisant, ils souscrivent implicitement à ce que des conflits d’intérêts puissent perdurer ou voir le jour.

À quelques mois des élections européennes, au moment où le gouvernement luxembourgeois réclame à l’État de se serrer la ceinture, nos cinq eurodéputés répugnent à embêter la Commission et sa présidente. MM Angel et Goerens, Mesdames Wiseler-Lima, Semedo et Kemp, rejettent un amendement qui pourrait aider à clarifier les responsabilités.

Il est vrai que la « mauvaise administration » épinglée par la médiatrice ne concerne que quatre milliards d’euros d’argent public [8] ! Une paille pour des gens habitués à engager l’argent des autres sans avoir à en répondre.
L’allocution de Monsieur Angel illustre un paradoxe, hélas courant en politique, qui oppose le discours et les faits. Il prône la transparence, mais il vote contre. Il évoque un « haut niveau de responsabilité » mais il n’aura jamais à rendre de comptes. Pas plus que ses camarades d’hémicycle, car il œuvre à l’abri d’un parti largement doté de fonds publics. Le groupe parlementaire socialiste auquel appartient Monsieur Angel recevra plus de dix millions d’euros en 2024. Celui de Mesdames Kemp et Wiseler-Lima (le PPE auquel appartient aussi Madame von der Leyen) touchera treize millions et demi [9].

La « reine Ursula » n’a pas besoin du suffrage des citoyens pour remplir la fonction.

En réalité, contrairement aux citoyens qu’ils sont censés représenter, les députés ne sont pas responsables. Ni sur leurs biens personnels ni devant les tribunaux. Jamais ils ne dormiront dans la rue parce qu’ils auront gaspillé l’argent public. Jamais, ils ne feront faillite, même s’ils ont pris des décisions calamiteuses. Tout au plus, peuvent-ils être sanctionnés par le vote des citoyens. Ils seront alors rangés dans une administration, en attente de jours meilleurs. À moins qu’ils ne « pantouflent » dans le secteur privé.

La Commission européenne peut continuer à jeter notre argent par les fenêtres, elle ne sera pas inquiétée. Sa présidente est d’ores et déjà adoubée par le PPE pour rempiler à sa succession sans même avoir à se présenter aux élections. Aux yeux des partis démocrates-chrétiens, la « reine Ursula » n’a pas besoin du suffrage des citoyens pour remplir la fonction. Il lui suffit de pouvoir disposer du fruit de leur travail. Et, si d’aventure, elle devait échouer à obtenir un second mandat, elle sera recyclée derechef [10].

Contrairement aux vaccins, les politiques professionnels arrivent difficilement à péremption ! Rien ne se perd en particratie, sauf la confiance des citoyens et l’argent des contribuables.

* Béatrice Martin est gérante de A Good Life sarl et fondatrice de Kidscare sarl.

[1] Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2024 sur le rapport annuel relatif aux activités du Médiateur européen en 2022 (2023/2120(INI))
[2] A 21,25 € la dose, chiffre déduit de la réponse de Madame Deprez, ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale, à la question parlementaire n° 90 du 8 décembre 2023 du député Sven Clément.
[3] Id.
[4] Affaire T-761/21 près la Cour de justice de l’Union européenne
[5] Cf. procès NY Times vs Commission européenne
[6] Id.
[7] Mesdames Wiseler-Lima (CSV), Kemp (CSV), Semedo (ex-DP) et Messieurs Angel (LSAP), Goerens (DP)
[8] Estimation faite par Politico, du 8.12.2023 : « …ce chiffre est très certainement un minimum. Mais même 4 milliards d’euros représentent une somme considérable, équivalente à un grand projet d’infrastructure ou aux dépenses annuelles de la Croatie en matière de soins de santé ».
[9] https://www.europarl.europa.eu/contracts-and-grants/files/political-parties-and-foundations/european-political-parties/en-funding-amounts-parties-2024.pdf
[10] Avant de présenter à sa propre succession à l’Europe, vdL s’était fantasmée à la présidence de l’OTAN. Finalement, ce sera Mark Rutte, désavoué par les dernières élections aux Pays-Bas, qui se place désormais en pole position.